Six défis pour le design digital en 2021
Et voilà, c’est le premier jour de l’année. Tournons la page 2020, c’est l’heure des bilans, des rétrospectives mais surtout de se projeter dans l’année qui arrive et de prendre, pourquoi pas, quelques résolutions.
Je vous propose cette liste non exhaustive de quelques tendances que j’ai vu émerger l’année dernière (voire un peu avant) et qui seront, à mon avis, des enjeux importants pour les designers d’expériences utilisateurs digitales en 2021— N’hésitez pas à les discuter ou partager les vôtres en commentaires.
1. L’IA fait partie de l’équipe
Les algorithmes prennent une place croissante dans les processus industriels. Le design génératif tel qu’il est exploité et mis en valeur par des acteurs comme Autodesk va transformer de manière spectaculaire des processus de conception de l’automobile, de l’aéronautique, de l’architecture. Mais c’est peut-être dans le domaine du digital que les changements seront les plus rapides. Notre médium intangible est moins dépendant des contraintes du monde physique.
Une application visible de l’IA : la création de logos pour des « marques » technologiques. L’une des plus célèbre étant le MIT, l’université américaine qui forme certain des meilleurs chercheurs de la planète. Elle a refondu son identité en s’appuyant assez naturellement sur un algorithme. Très intéressant aussi pour signifier des écosystèmes aussi complexes que des communautés urbaines à l’image de la métropole de Bordeaux (Merci Eva pour la référence). Et à la réflexion, c’est logique. Les villes ne sont elles pas les systèmes humains les plus complexes créés par les humains ? A moins que ce ne soient les logiciels informatiques.
Le texte est un élément important de l’expérience utilisateur et c’est peut être l’un des domaines dans lequel l’intelligence artificielle a réalisé l’une des percées les plus remarquables. Il y a deux ans déjà, Alibaba mettait à disposition des marchands sur sa plateforme un outil de création de bannières publicitaires capable de produire 20.000 lignes de textes promotionnels par seconde. Cet outil aurait parait-il passé le test de Turing. C’est à dire que sous certaines conditions expérimentales définies par le mathématicien Alan Turing en 1950, il est impossible de discerner des contenus générés par ce logiciel de ceux rédigés par des humains. Ces contenus générés par une intelligence artificielle sont, on peut le supposer, tout aussi efficaces. Cette information date de près de 2 ans. Je ne serais pas surpris d’apprendre que le métier de copyrwiter pour ce type de format a aujourd’hui disparu en Chine et qu’il est en voie de l’être dans d’autres pays.
Et même si tous les designers ne sont pas encore au contact direct la donnée ou l’IA, leur intégration au sein d’équipes pluridisciplinaires qui comptent des data-scientistes modifie de manière significative leur pratique, comme l’exprime ce témoignage d’un designer de chez airBnb. Les designers n’ont pas à devenir des experts de l’apprentissage profond pour que cette nouvelle génération de programmes ait une influence sur leur travail. C’est à minima un nouveau paramètre à prendre en compte. Et sans doute, à plus long terme, une nouvelle matière première.
En 2021 : guetter l’apparition de dispositifs basés sur l’intelligence artificielle qui seront aux interfaces ce que l’outil d’Alibaba et bien d’autres encore sont au langage écrit. Des outils bien plus avancés que les offres de création de sites vitrines existants à ce jour qui sont surtout des librairies de modèles personnalisables. Ces assistants aideront les designers a concevoir et fabriquer des espaces transactionnels complexes en exploitant une grammaire et une vocabulaire interactif sur mesure.
2. Le design d’interface coté obscur
Disponibles depuis la rentrée 2019 sur iOS et Android, mais aussi sur ordinateur de bureau, le paramètre “thème sombre” présente l’avantage de réduire la fatigue visuelle des utilisateurs dans certains contextes (faible lumière ambiante ou usage intensif) et de diminuer la consommation de la batterie de certains terminaux. Coté smartphones, La plupart des applications natives des constructeurs l’intègrent. Les fintech européennes comme Revolute ou N26 l’ont rapidement mis en oeuvre dans leur services en ligne. Et même Google serait en train de tester une version « dark » de sa page de recherche sur le Web.
Il s’agit d’une preuve supplémentaire de la spécificité des interfaces digitales qui, à la différence des supports tangibles, ont la capacité de s’adapter aux contextes d’utilisation et aux préférences de l’utilisateur.
Dans la pratique, cette option impose quand même une sacrée gymnastique aux concepteurs qui doivent dissocier encore plus le contenu des écrans de sa mise en forme et atteindre un niveau d’abstraction supplémentaire. Elle pose pas mal de questions et implique quelques compromis. Pas toujours évident en effet de maitriser l’identité de la marque, l’harmonie des écrans, la hiérarchie du contenu et l’accessibilité avec un fond noir ou très sombre et des textes très clairs.
En 2021 : poursuivre l’implémentation du mode sombre sur des applications web ou mobile. S’intéresser en particulier aux applications « métier » les plus complexes. Car ce sont les professionnels qui ont une fréquence et une durée d’utilisation importante de leurs outils qui pourront en tirer le plus profit. Cette option « thème sombre » pourra dans certain cas donner une sacrée avance aux entreprises qui la proposeront.
3. Les design-(éco)systèmes
2020 l’âge de la maturité des design-systems. Aujourd’hui, la plupart des entreprises dotées d’un écosystème digital significatif en possèdent un ou sont en train de le créer. L’association “design systems France” propose un inventaire très complet. Et c’est je pense la preuve que leur valeur n’est plus à prouver.
Les design-systems permettent de délivrer une expérience plus cohérente pour les utilisateurs des écosystèmes digitaux complexes. Une expérience utilisateur mieux maitrisée, globalement de meilleure qualité et qui capitalise sur des fondamentaux communs pour laisser plus le temps aux designers de se consacrer à la logique des parcours et au contenu des écrans.
Logiquement, après la création vient le temps de la mesure du retour sur investissement et du contrôle de l’utilisation à grande échelle des design-systems dans les produits digitaux . Ici aussi l’apprentissage profond avec sa capacité à repérer très efficacement des écarts par rapport à des normes sera d’une grande aide pour les designers.
A plus long terme, les design-systems qui sont aujourd’hui essentiellement des recueils de documentation et qui tendent à devenir lourds et plus complexes vont devenir des logiciels.
Les designs tokens formulés par Nathan Curtis il y a plus de 4 ans sont aujourd’hui implémentés sur les design-systems plus avancés. Ils permettent de normaliser les caractéristiques des identités digitales sous forme de fichiers standards (XML) utilisables par plusieurs technologies. Donc, moins une documentation qu’un outil.
L’adoption des design tokens va offrir plus de flexibilité aux designers et aussi des opportunités d’automatisation. Par exemple, en générant des variantes d’interfaces que les designers pourront sélectionner en fonction du contexte et des besoins des utilisateurs (par exemple, passer en thème sombre) comme dans cette très belle expérimentation. Elle ressemble beaucoup dans son principe aux démonstrations de design génératif proposées cités plus haut chez Autodesk.
A plus long terme encore, les design-systems “applicatifs” pourront prendre en charge les étapes intermédiaires, entre l’esquisse et la fabrication des application. En produisant le code des interfaces directement à partir des croquis des designers.
En 2021 : continuer à enrichir les design-systems existants et maitriser leur entropie pour qu’ils ne soient pas victimes de leur succès. Maintenir l’équilibre entre “design” et “système”. Créer ou identifier la solution technique pour le design-system idéal : un logiciel de création très lié au code dont le prototype pourrait être components.ai. Il permettra aux designers de concevoir et fabriquer des écrans, des applications mais aussi, et surtout des écosystèmes de services digitaux.
4. Une ligne toujours claire
Les illustrations épurées de style cartoon popularisées par Google sont devenues très courantes. Vont elles bientôt lasser ?
La photo va t’elle faire son grand retour ? Je pense que les images « stock » génériques et bon marché ont lassées de manière durable à la foi l’audience et les designers qui les exploitent souvent à reculons dans leurs créations. La photographie est devenu une forme d’expression trop banalisée par les réseaux sociaux et par la montée en qualité des capteurs des smartphones qui permettent aujourd’hui à tout le mode d’obtenir des résultats visuellement satisfaisant.
De leur coté, les illustrateurs exploitent maintenant l’approche orientée objet des nouveaux outils de design d’interface comme Sketch ou Figma pour produire des visuels de manière industrielle. Et, c’est un retournement de situation cocasse : Hier les concepteurs d’interfaces utilisaient faute de mieux des outils d’illustrateurs (Illustrator) ou des photographes (photoshop). Aujourd’hui, ce sont les illustrateurs s’approprient les outils des UX designers.
Malgré une tendance à la banalisation avec des illustrations réalisées à la chaine, il y aura certainement toujours une place de choix pour des illustrations sur mesure, uniques, dessinées avec soin comme celles d’Elisa Osmo ou de notre chouchou dans l’équipe des designers du Groupe BPCE : Thomas Danthony. La 3D pourrait aussi s’affirmer comme une forme de représentation haut de gamme.
La photographie quand à elle reste un territoire riche, quand il est exploré par des professionnels ou des passionnés comme Alan Schaller. Réalisé avec un objectif précis et un parti-pris esthétique affirmé. A moins que la distinction entre la photographie et les visuels imaginaires s’atténue avec des réseau de neurones permettant la création en série d’images photo-réalistes à la limite des « deepFake » comme dans cette expérimentation un peu polémique proposée par Adobe.
En 2021 : concevoir et promouvoir des supports visuels qui engagent les utilisateurs. Des “assets” graphiques qui servent les fonctionnalités des interfaces utilisateurs ainsi que les entreprises qui les produisent en exprimant une identité forte et unique.
5. L’année des super apps
Une super app est une application native qui agrège un grand nombre de fonctionnalité. Cet article de Fred Cavazza décrit ce concept qui nous vient d’Asie et dont le principal représentant est WeChat. Une application qui rassemble de nombreux services : messagerie, réseau social, place de marché et surtout paiement. (La gestion des transactions financières est l’un des critères qui définissent une super app).
Un avantage pour les utilisateurs peut être de rassembler les interactions de la vie courante au même endroit, dans un environnement familier qui inspire confiance.
De manière plus terre à terre, il peut aussi s’agir d’économiser de l’espace mémoire sur son téléphone. En installant une seule application, certes un peu plus grosse, on économise de la place par rapport à plusieurs applications séparées. Ceci peut libérer un espace précieux pour héberger les volumineux médias produits par les capteurs photographiques dont sont très généreusement dotés les nouveaux téléphones.
Cette application étant aussi plus souvent utilisée, l’utilisateur sera probablement moins tenté de la supprimer.
Pour les entreprises, c’est la possibilité de capitaliser sur des carrefours d’audiences existants. C’est souvent moins couteux que d’acquérir de nouveaux clients ou d’inciter à installer une application supplémentaire. C’est aussi l’opportunité de créer un lien plus personnalisé avec les utilisateurs. Les réglementations européennes pour la protection des données personnelles imposent un nombre croissant de consentement de la part de l’utilisateur pour lui permettre un contrôle accru sur l’utilisation et le transfert des informations entre les services. Une seule application peut permettre de collecter les consentements en une fois puis de les conserver et de les gérer au même endroit.
Le concept de super App est clairement revendiqué par la fintech Révolute dans la version de son application lancée en Juin. C’est une cible assumée par certains, comme Lydia qui a levé à la fin de l’année une somme considérable pour soutenir son ambition de devenir une Super App. C’est une stratégie relativement discrète mais très présente chez des acteurs majeurs comme Facebook qui maintient depuis quelques temps une fonctionnalité de paiement (un peu cachée dans ses paramètres avancés) ou qui a changé le positionnement de sa future monnaie numérique.
En 2021 : s’attendre à ce que ce concept devienne une tendance prédominante du développement d’application mobile. Evaluer avec tout le recul possible la pertinence d’agréer et d’enrichir des applications existantes VS en créer de nouvelles. Pondérer entre autres critères : les spécificités culturelles locales, les cibles auxquelles se destinent les différentes fonctionnalités, la sécurité des données personnelles des utilisateurs et bien sûr les enjeux techniques que posent le développement d’applications avec un super périmètre fonctionnel.
6. Un design digital plus accessible
Proposer des services numériques accessibles est une bonne pratique sur laquelle aucune marque qui revendique une conception éthique ne devrait faire l’impasse. C’est aussi une obligation légale pour de nombreuses entreprises depuis le 24 juillet 2019. Date de la publication du décret relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne.
Il impose aux entreprises du secteur privé réalisant un chiffre d’affaire de plus de 250 million d’euros de mettre dans des délais très courts leurs services dé-matérialisés aux normes d’accessibilité RGAA et de publier comme le font les services publics une déclaration d’accessibilité de leurs produits et un plan annuel. Ces déclarations permettront aux utilisateurs en situation de handicap d’évaluer la capacité des entreprises à répondre à leurs besoins spécifiques avant d’y souscrire et de comparer factuellement l’avancement de chacune d’entre elles.
Les délais irréalistes imposés et l’absence de mise en place concrète d’un organisme d’accompagnement et de contrôle illustrent une fois de plus la connaissance particulièrement approfondie des législateurs de la technologie qu’ils réglementent. Les produits intangibles sont loin d’être totalement détachés du réel. Comme dans l’architecture tangible, l’application de nouvelles normes peut impliquer des destructions importantes sur des bâtis anciens pour reconstruire des structures conformes et cela peut prendre du temps.
Pour des services dématérialisés complexes, l’adjectif ancien peut s’appliquer à des dispositifs qui n’ont que quelques années d’existence et 10 ans est synonyme d’obsolescence très avancée (Au passage, une pensée pour “Flash” qui était il y a encore une décennie la plateforme de référence pour le développement de produits interactifs et dont le support prend fin cette année). L’accessibilité ne peut pas être traitée comme une sur-couche ou quelques ajustements de surface. Elle doit être prise en compte en amont dans la conception et la fabrication.
En 2021, Et c’est peut être l’un des défis les plus importants de l’année : Saisir l’opportunité de rattraper le retard pris sur la réglementation pour refondre en profondeur quelques vieilles applications en adoptant dès le départ une démarche de design inclusif dont tous les utilisateurs pourront bénéficier.
Bonne année 2021 !